Les lapins de garenne au Hâble d’Ault

En baie de Somme on  trouve le lapin de garenne sur les ronds-points dont il semble goûter la pelouse, dans les dunes un petit peu, et dans les pelouses graveleuses au Hâble d’Ault où il est bien implanté. C’est dans ce polder, à quelques centaines de mètres de la mer, que je me suis installé au printemps pour observer et photographier la colonie.

Il n’y a pas possibilité d’installer un affût, le lieu étant ouvert à tous et sans aucun arbre, mais les animaux sont habitués aux passages de véhicules, et tolèrent très bien une voiture garée pas trop près du terrier.

C’est ainsi que j’ai pu suivre pendant quelques semaines la vie du terrier, équipé d’un objectif 500 mm et d’un multiplicateur 1.4, simplement par la vitre ouverte côté conducteur. Les lapins sortent surtout le soir, et il suffit d’arriver en fin d’après-midi pour minimiser le dérangement.

Au début du printemps, la végétation (des chardons) qui protège et dissimule le terrier est encore basse et les observations sont facilitées. Avec le temps, on finit par repérer quelques individus et à les reconnaitre d’une fois sur l’autre. Il y a le gros mâle joufflu, le bagarreur à l’oreille percée, le pas farouche qui sort toujours le premier et s’approche à 1 m de la voiture, etc… Les comportements sont assez basiques, les lapins mangent, font leur toilette, font des courses-poursuites, ou se dorent au soleil pour l’essentiel. Deux soirs de suite, j’ai eu la possibilité d’observer un groupe de 9 lapereaux qui jouaient ou se câlinaient entre eux, et semblaient explorer les saveurs des différentes plantes autour du terrier. Dans la belle lumière du soir et avec les fleurs sauvages, les petits étaient particulièrement photogéniques.

Description

Le lapin sauvage adulte mesure de 30 à 50 cm et pèse entre 1 et 2.5 kg. Il peut vivre 8 à10 ans mais rarement plus de 2 à 3 ans en réalité. La fourrure du ventre et de la queue est blanche, tandis que le reste du corps et gris/beige/brun, avec une tache rousse sur le dos près de la nuque. La tête est plus allongée chez les femelles et les mâles sont plus joufflus. Sa dentition, ne cesse de pousser, il lui faut brouter pour user ses dents au fur et à mesure.

Malgré un très large champ de vision, il existe un angle mort devant le nez et dans cette zone ce sont les vibrisses (longs poils sur la lèvre supérieure et la partie antérieure de la joue) de l’animal qui lui permettent de percevoir les éléments placés devant lui. Il perçoit une image floue et est donc plus sensible au mouvement qu’aux formes. 

Son goût est bien développé aussi puisqu’il distingue les quatre saveurs de base : salé, sucré, acide et amer. 

Avec ses grandes oreilles, il a une bonne ouïe, perçoit moins les sons graves que les hommes mais beaucoup plus d’ultra-sons. Par contre, il est bien moins doué que nous pour localiser l’origine des sons et se dresse fréquemment sur ses pattes arrière pour compenser et mieux voir. Généralement muet, il peut pousser un petit cri de détresse, et tape sur le sol avec les pattes arrière pour prévenir ses congénères d’un danger.

Cependant, ce sont par les odeurs que les lapins communiquent le plus, leur odorat est très fin. Ils possèdent plusieurs glandes qui leur permettent de s’identifier (sexe, rang social, âge, reproductions…), de marquer leur territoire et leurs congénères du groupe famillial.

Le lapin de Garenne en danger d’extinction ?

Cela peut surprendre au premier abord, mais, fin 2017, l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) a classé le lapin de garenne (Oryctolagus cuniculus) comme espèce quasi menacée à l’échelle européenne, et en danger d’extinction à l’échelle mondiale. Pourtant au lendemain de la seconde guerre mondiale, les lapins de garenne étaient des animaux prolifiques et partout présents ! Y compris dans l’imaginaire collectif avec de nombreuses légendes, chocolats de Pâques, histoires ou doudous pour les enfants !

Initialement, le lapin de garenne nous vient de la péninsule ibérique et peut-être du nord-ouest de l’Afrique. En France, son aire de répartition semble s’être limitée au sud du pays jusqu’au moyen-âge et ce n’est qu’à partir du IXème siècle qu’il s’étend au nord de la Loire. La colonisation se fait par un privilège accordé aux seigneurs de l’époque de créer des garennes, espaces plus ou moins clos pour y élever des lapins en semi-liberté. Ce sont des lapins échappés de ces garennes qui donnent naissance aux premières populations sauvages. Au XVIème siècle, l’espèce a beaucoup proliféré et, devant les dégâts aux cultures, Colbert interdit les nouvelles garennes et ordonne la destruction des lapins dans toutes les forêts du Roi. L’espèce a en effet un fort impact sur les écosystèmes d’accueil. En broutant, le lapin agit directement sur la flore présente, et, donc indirectement sur les animaux associés à ce couvert végétal. Par son comportement fouisseur, il accélère également les processus d’érosion. A la Révolution française, le droit de garenne est supprimé, et le lapin est ensuite classé comme gibier. Les effectifs augmentent à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle, grâce à des paysages agricoles favorables.

Mais aujourd’hui, les effectifs sont en forte baisse et ce depuis plus de 25 ans. Il y eu d’abord le docteur Armand Delille qui est resté tristement célèbre dans l’histoire pour avoir introduit, en 1952, le virus de la myxomatose (pour éradiquer les lapins de sa propriété !). Le virus a colonisé toute l’Europe, en décimant les populations, avec une mortalité estimée à 95%. Par la suite, l’espèce s’immunisa cependant en partie contre le virus et recommença à prospérer. Mais classée à la fois comme nuisible et comme gibier, qui plus est très prisé, l’espèce paie un lourd tribut à la chasse. Les lapins sont également fréquemment victimes du trafic routier. Enfin, lapins et lapereaux sont la proie de nombreux prédateurs (rapaces, renards, lynx, chats sauvages, chats domestiques …). Les lapins peuvent représenter 50% du régime alimentaire de leurs prédateurs. L’évolution des paysages ruraux avec des parcelles immenses et sans haie pour se protéger (“les déserts verts”) leur nuit également comme à toute la biodiversité. Leur disparition provoque à son tour des déséquilibres en créant des zones d’herbe sèches qui sont sensibles aux incendies, en privant les prédateurs de nourriture, ou en privant d’habitat les espèces qui utilisent leurs terriers pour leur reproduction, tel le Tadorne de Belon ou le macareux moine par exemple.

L’habitat

Les lapins de garenne vivent en communauté sur un territoire de trois ou quatre hectares, en dessous de 1000 mètres d’altitude. Leurs terrains préférés sont les ronciers, les haies, les landes, les garrigues, les bordures de terres cultivées ou de forêts et les zones côtières.

Il leur faut un sol assez meuble, sablonneux et bien drainé en profondeur, pour creuser les terriers. Ils ont besoin d’herbe à manger, et de ronces ou de friche haute pour dissimuler les entrées des terriers ou gêner les prédateurs. Les terriers sont groupés et reliés ensemble par des galeries pour former la garenne. A l’abris des prédateurs sur une belle pelouse de rond-point, ou près d’une autoroute, ils peuvent rapidement prospérer.

Le territoire est marqué par l’urine et les crottes des mâles dominants, couvertes des secrétions de leurs glandes anales, ainsi que par les secrétions de leurs glandes situées sous le menton. On trouve également des zones où le sol est gratté, bordées de crottes, aux limites du territoire.

Le couple dominant s’installe généralement dans le terrier le plus vaste et le plus protégé de l’humidité. Ce sont les lapines qui creusent l’essentiel des galeries et décident de l’agencement du terrier. Une femelle peut creuser pendant deux heures d’affilée alors que les mâles se contentent de déblayer la terre et de la tasser avec leurs pattes arrière. L’entrée principale du terrier, utilisée pour les urgences, peut mesurer 50 cm de diamètre et forme un couloir. Mais d’autres ouvertures plus discrètes sont présentes également sous forme de trou vertical. A noter que les terriers sont très propres, tous les besoins sont faits à l’extérieur.

A chaque nouvelle portée, la lapine creuse une nouvelle chambre séparée du reste du terrier. Ces nurseries sont appelées « rabouillères », peuvent mesurer 2 mètres de long, et peuvent être reliées au reste des galeries lorsque les petits sont en âges de se joindre à la colonie.

L’alimentation

Le lapin est un herbivore qui avale entre 200 g et 500 g de plantes par jour à l’âge adulte. Il mange l’herbe, les écorces, des bulbes, des graines, de jeunes pousses, des racines, de plus de 60 espèces végétales différentes.  Une majorité sont des graminées, il participe ainsi au maintien des milieux ouverts. Il apprécie beaucoup aussi les plantes cultivées (carotte, choux, céréales…) pour son malheur.

Lorsqu’il prend son repas, le lapin commence par manger tout ce qui se présente à lui, avant de devenir plus sélectif au fur et à mesure qu’il se rassasie. Fin gourmet, il passe alors aux aliments aux saveurs douces et plus riches en protéines.

Les fibres des herbes sont en grande partie impossibles à digérer pour le lapin et il les élimine très vite dans les crottes dures. Les autres végétaux passent par le caecum et produisent des caecotrophes, les crottes molles, plus longues à produire par le système digestif. La caecotrophie est un comportement animal qui impose aux aliments de passer deux fois par le tube digestif pour être assimilés. Les enzymes intestinales ne sont pas capables de décomposer la cellulose, les aliments sont donc orientés une première fois vers le caecum qui contient les bactéries capables de le faire. Une fois de retour dans leur terrier, les lapins produisent et ingèrent les caecotrophes pour en assimiler les nutriments et notamment la vitamine B. Du point de vue métabolique, c’est un processus proche de la rumination. Ce comportement se retrouve chez le lièvre, le castor ou le koala par exemple.

La vie sociale

Les lapins de garenne vivent en couple lorsque qu’ils sont peu nombreux, ou en groupe pouvant compter une vingtaine d’adultes si la densité de leur population est forte. Différents groupes familiaux peuvent cohabiter dans des terriers éloignés d’au moins 150 m pour éviter les conflits car les mâles de groupes différents se tolèrent peu entre eux.

Au sein du groupe familial, une hiérarchie marquée existe entre le couple dominant et des dominés. Le mâle dominant accapare les femelles pour les accouplements et la femelle dominante dispose des meilleurs emplacements pour creuser sa rabouillère. Les dominants disposent également des meilleures zones de nourrissage. Leurs bonnes conditions de vie favorisent leur fertilité alors que les dominés peuvent être relégués à la périphérie du terrier, dans les zones plus humides, propices aux maladies ou aux inondations. Les petits des dominants, bien logés et bien nourris, sont plus robustes et deviennent à leur tour des dominants.

Si la femelle dominante est généralement la plus âgée, chez les mâles la hiérarchie se détermine au début de la saison de reproduction, en janvier. Combats et intimidations conduisent alors les jeunes mâles ou le roi déchu à se soumettre ou à quitter le groupe familial pour aller errer seul ou explorer d’autres horizons. Le dominant passera ensuite son temps à marquer son territoire et parader, à montrer sa suprématie. Les dominés doivent ainsi lui laisser le passage, les récalcitrants se font pourchasser, voire humilier par un jet d’urine. Plus il y a de jeunes mâles, plus le roi doit affirmer son autorité fréquemment. Les membres du clan sont marqués grâce à la glande mentonnière du mâle dominant, lequel marque également l’entrée du terrier avec son urine et ses crottes.

Le lapin de garenne passe environ 60% de son temps dans son terrier, et sort plutôt le soir et la nuit ou au petit matin. En été, il ne dédaigne pas s’offrir un bon bain de soleil pour le plaisir, ainsi que de longues périodes à observer son territoire. Pour autant, la pluie et le vent ne semblent pas beaucoup l’affecter. Les principales activités des lapins de garenne sont le grignotage, la toilette, la sieste, le marquage du territoire et l’éducation des jeunes.  Les lapines s’occupent du terrier et des jeunes, les mâles veillent sur le marquage et la défense du territoire. Les jeunes jouent également beaucoup dans le terrier et aux abords immédiats.

Reproduction

Comme souvent pour les espèces fragiles, le lapin de garenne compense par une grande fertilité. La gestation dure un mois et la femelle élève en moyenne 3 à 5 portées de de 3 à 6 lapereaux par an. Les jeunes sont à leur tour fertiles vers l’âge de 9 à 10 mois. Il n’y a qu’en automne que les femelles ne sont plus fertiles.

La mortalité peut cependant être très élevée (50 à 80%), notamment chez les dominés dont la rabouillère peut être inondée ou plus accessible aux prédateurs. La petite taille des lapereaux en fait des proies idéales pour les petits mammifères ou les rapaces. De plus, il n’y a pas de système de garderie, si la mère meurt, les petits meurent aussi, et si le terrier est dérangé, la mère peut l’abandonner, y compris les petits.

Les petits naissent aveugles et nus dans une cavité à part, la rabouillère, que la mère creuse elle-même. La chambre à l’extrémité est tapissée de foin, de mousse, et de poils. La mère passe 1 ou 2 fois par jour pour les allaiter rapidement mais leur prodigue peu de soins. Toutefois elle défend âprement sa progéniture en cas d’attaque. Au bout de 4 à 5 semaine les jeunes s’émancipent et la mère peut mettre bas à nouveau. Les jeunes plus âgés agrandissent la rabouillère et passent la journée à jouer, manger, et déjà à établir leur propre hiérarchie. A trois mois ils font déjà 80% de leur poids adulte.

Sources :

  • La dure vie du lapin urbain :  – https://www.ladureviedulapinurbain.com/garenne.php
  • The Private Life of the Rabbit, Ronald Mathias Lockley. Eds André Deutsch, 1964
  • Le Lapin de garenne : Oryctolagus cuniculus (Linné, 1758). Marchandeau S., Pascal M. & Vigne J.-D., 2003. Pages 329-332, in : Évolution holocène de la faune de Vertébrés de France : invasions et disparitions (M.Pascal, O. Lorvelec, J.-D. Vigne, P. Keith & P. Clergeau, coordonnateurs), Institut National de la Recherche Agronomique, Centre National de la Recherche Scientifique, Muséum National d’Histoire Naturelle (381 pages). Rapport au Ministère de l’Écologie et du Développement Durable (Direction de la Nature et des Paysages), Paris, France. Version définitive du 10 juillet 2003.
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