Photographier les champignons
Quelques champignons de la forêt de Crécy, mon terrain de jeu préféré pour la mycologie.
Photographier les champignons
Si nous avons quelque peu évolué depuis le Paléolithique et l’homme chasseur-cueilleur, la cueillette des champignons reste aujourd’hui synonyme de gastronomie et de mets fins. Les truffes, cèpes, morilles ou giroles sont recherchés par les gourmets et l’évocation d’une bonne omelette aux champignons suffit bien souvent à nous faire saliver…
Le plaisir de la chasse au trésor…
Au-delà du simple intérêt culinaire, c’est aussi tout le plaisir de la sortie en pleine nature. Armé d’un panier et d’un bâton, la cueillette des champignons donne un but à la promenade. C’est aussi partager une chasse au trésor avec les enfants, exposer et commenter ses trouvailles, être reconnu pour l’expert qui a « ses coins », ou au contraire pour le béotien qui trouve un beau spécimen avec la chance du débutant… Tout cela participe à un ensemble de rapport sociaux et familiaux, dans la bonne humeur et la convivialité. L’automne venu, les amateurs se croisent en forêt, on se salue, on échange sur les récoltes respectives, on partage une recette, on explique aux enfants, puis chacun repart satisfait de son côté, en quête du saint graal.
Le monde fascinant de la mycologie…
Pour le photographe de nature, cette quête est encore élargie par le fait que même les champignons non comestibles, fussent-ils mortels ou toxiques, sont intéressants pour réaliser de belles images. Qu’il soit ventru ou effilé, coloré ou pas, seul ou en groupe, le champignon est graphique par ses formes, ses couleurs, son environnement, et c’est une source d’inspiration sans cesse renouvelée. Non seulement leur biodiversité est énorme, mais les formes et couleurs varient au cours de leur développement et selon la météo ! Par ailleurs, quand on habite comme moi dans une région où les cèpes, pieds de mouton ou giroles, stars des cuisiniers, sont quand même assez rares, la photo ajoute une tout autre dimension aux « sorties champis » en forêt. L’intérêt naturaliste se manifeste alors très vite si l’on souhaite ne serait-ce qu’identifier le genre et l’espèce du spécimen photographié, ou savoir où et quand il y a le plus de chances de trouver telle ou telle espèce. Et puis c’est un petit peu comme en ornithologie, il y a le côté collectionneur qui pousse à rajouter une coche et à trouver de nouvelles espèces qu’on n’a encore jamais rencontrées. C’est une excellente façon de découvrir la biodiversité autour de chez soi !
Cette approche pousse à s’intéresser à la mycologie qui est une science à part entière, passionnante, et à découvrir toute la biodiversité des champignons. On dit que la complexité d’une science s’évalue au nombre de mots qui lui sont propres. Pour la mycologie, il suffit de regarder la liste des adjectifs qui décrivent les lames pour s’en rendre compte ! Longtemps considérés comme des végétaux, les champignons sont aujourd’hui classés par les scientifiques dans un règne à part, ni végétal, ni animal. Leur organe principal est le mycélium, entrelacs de filaments souterrains, qui donne naissance à la partie aérienne que nous observons, et que nous appelons communément le « champignon ». Ce carpophore (aujourd’hui on parle plutôt de sporophore) est destiné à assurer la pérennité de l’espèce en répandant les spores au grès du vent. La durée de vie du champignon est brève, mais les quantités de spores libérées sont si importantes qu’on estime que si les conditions de germination n’étaient pas aussi sélectives, les champignons recouvriraient la terre. Ainsi, chacune de nos inspirations contient au moins une dizaine de spores fongiques[1] …
Les scientifiques évaluent le nombre d’espèces de champignons connues à 100 000 sur un total estimé de 1 à 1,5 million d’espèces différentes dans le monde. Les champignons présentent une forte diversité de formes (de la simple levure au gros champignon), et se classent en trois grands groupes en fonction de leur façon de se nourrir, qui conditionne leur habitat :
- les saprophytes se nourrissent de matière végétale ou animale en décomposition. Ce sont les plus importants agents de décomposition de la matière organique de notre planète. Ils ont un rôle essentiel dans l’écologie des sols forestiers. En effet, ils participent à l’élaboration de l’humus en dégradant les molécules les plus complexes, évitant ainsi que la forêt n’étouffe sous ses propres déchets (feuilles mortes, branches…)[2].
- les mycorhiziques ont leur mycélium associé avec les racines des plantes alentour : cette symbiose (la mycorhize) est indispensable à la fois au champignon et à la plante. Environ 85% à 90% des plantes terrestres vivent en symbiose avec une ou plusieurs espèces de champignons. Et 80 % des champignons supérieurs ou Macromycètes, ces champignons bien visibles à l’œil nu qui comptent les comestibles les plus connus, sont dits « symbiotiques obligatoires » et ne peuvent se développer sans leur hôte. Si cet hôte est un arbre, le mycélium forme comme un manchon autour des racines et le champignon se nourrit du glucose et des vitamines fournis par l’arbre, en échange de sels minéraux et d’une protection contre les parasites. Le mycélium, avec ses filaments d’une finesse extrême et ses enzymes puissants, exploite un volume de terre bien plus important que ne pourraient le faire les racines de l’arbre seules. Selon Hofrichter [1], « Un centimètre cube de terre peut contenir jusqu’à 20 kilomètres (!) de fins filaments« . Enfin, les champignons améliorent également la capacité germinative des graines, contribuant ainsi à la régénération des végétaux.
- les parasites vivent aux dépens d’un animal, végétal ou d’un autre champignon[3], limitant naturellement les espèces envahissantes et évitant le surpeuplement.
Il y a des livres entiers (voir bibliographie) consacrés au monde fascinant des champignons, leurs particularités, les géants qui pèsent des tonnes, les toxiques, les communs, les rares, ceux cultivés par les termites… n’hésitez pas à vous y plonger !
Trouver un beau spécimen…
Pour faire une image, il faut avant tout trouver un champignon. Il faut arpenter la forêt, le nez au sol (et au vent pour les repérer à l’odeur !) en écartant parfois les herbes, fougères, ou les jeunes pousses d’arbres avec son bâton. A tourner ainsi autour des arbres en quittant les chemins, on se perd très facilement ! Pensez à prendre vos repères et votre boussole ! Chez moi, dans la Somme, la saison commence fin août et se termine en novembre/décembre avec les premières gelées. Quand les feuilles tombent en abondance, il devient difficile de les repérer. Les différentes espèces n’apparaissent pas toutes en même temps en fonction de la météo, mais bien malin celui qui peut prédire les poussées de tel ou tel champignon. Parfois on revient bredouille, parfois on remplit la carte…
Et pour que l’image soit belle, il faut un beau spécimen. Le photographe est alors en concurrence directe avec les limaces et les vers qui boulottent une bonne partie de la production, quand ce ne sont pas les sangliers qui passent avant nous. Et sur les comestibles les plus appréciés, les humains gourmets sont redoutables ! Une fois le champignon encore intact et pas trop vieux enfin déniché, il convient aussi de le toiletter un peu. Un pinceau plat se révèle alors un accessoire indispensable à avoir dans la poche, avec le couteau, pour éliminer les projections de terre consécutives à une averse, les brindilles et insectes divers.
Trouver un beau décor…
Vient enfin le moment de laisser sa créativité s’exprimer et rien n’empêche de déplacer un peu le champignon dans un décor plus propice, mieux éclairé, avec de belles couleurs en arrière-plan. Attention toutefois, certains champignons bleuissent dès qu’on les touche ou marquent les empreintes digitales, et mieux vaut alors ne pas y toucher et plutôt construire le décor autour sans le déplacer. Un joli tapis de mousse, les teintes automnales des feuilles au sol, quelques glands, feignes ou châtaignes de saison, un escargot ou une limace, peuvent suffire à mettre en scène le « modèle ». Pour être net du bord du chapeau jusqu’au pied, on est amené à utiliser des petites ouvertures et il est alors intéressant d’avoir un espace libre derrière la scène. On évite ainsi d’inclure des éléments parasites dans la zone de netteté et un fond trop fouillis ou des lignes parasites qui gênerait la lecture de la photo. Il est également possible d’utiliser la technique du Focus stacking[1] pour augmenter la zone de netteté en empilant différentes images dont la mise au point est décalée. Pour ma part, je privilégie la lumière naturelle et la simplicité de mise en œuvre, mais je n’hésite pas à réaliser une série de photos avec des profondeurs de champ différentes afin de choisir celle qui me convient le mieux sur grand écran en post-production.
Regrouper plusieurs spécimens sur une même image est intéressant si on veut illustrer les différents stades de l’évolution de l’espèce en question, montrer que ces champignons poussent en colonies, ou simplement obtenir une composition plus originale. Le cadrage large montre l’environnement mais un cadrage serré convient bien si l’on souhaite être plus descriptif ou illustrer un détail anatomique. Si les images sont le plus souvent réalisées à hauteur du champignon, la contre-plongée donne un point de vue plus inattendu à la photo et permet parfois d’avoir des jeux de transparence esthétiques à travers le chapeau du champignon ou les lumières dans frondaisons en arrière-plan. L’usage du flash permet aussi de réaliser des clairs-obscurs du plus bel effet. Certains photographes[2] utilisent également de petites leds pour des éclairages très créatifs. De beaux effets oniriques peuvent aussi être obtenus par surimpression. On retrouve ici toutes les possibilités de la macrophotographie…
Choisir son matériel
Photographier les champignons ne demande pas énormément de moyens techniques. Un reflex équipé d’un objectif macro de 60 mm permet déjà de faire beaucoup de choses. Un 105 macro ou un petit téléobjectif (200 à 300 mm) donnent également de beaux fonds pour isoler le sujet, mais nécessitent généralement plus de recul ce qui peut se révéler problématique à cause des nombreux obstacles au sol en forêt. Un petit pied photo permettant de descendre très bas[3] ou un coussin[4] empli de billes de polystyrène[5] sont en revanche indispensables. Comme souvent en macro, on cherche à avoir beaucoup de profondeur de champ, donc les temps de pose sont longs, surtout dans les sous-bois peu lumineux. L’appareil doit donc être bien stabilisé. Le retardateur ou la télécommande permettent d’éviter les flous de bougé au moment du déclanchement. Et le liveview sur écran inclinable prend ici tout son intérêt pour cadrer en évitant de se mettre à plat ventre ou d’utiliser un viseur d’angle. Mon D850 reste cependant peu pratique en cadrage vertical car l’écran ne pivote pas dans ce sens.
Identifier son champignon…
Une fois les images réalisées, il ne faut pas négliger l’identification du champignon que l’on vient d’immortaliser car c’est un point important si l’on veut vendre ses images ou simplement progresser dans ses connaissances naturalistes. Dans le guide qui fait aujourd’hui référence chez les mycologues de France[4], les auteurs indiquent que chaque année 1500 nouvelles espèces de champignons sont décrites par les scientifiques dans le monde. On comprend alors pourquoi la nomenclature et les classifications sont souvent revues et modifiées, avec des noms latins qui évoluent en conséquence. En France, on compte environ 4000 espèces [5] sur les quelques 10 000 espèces de macromycètes présents sous nos latitudes. Au-delà de la description des formes et des couleurs de chaque partie du champignon, de l’odeur, de la saveur, de la consistance de la chair, de la couleur des spores, certaines espèces nécessitent le microscope et/ou l’usage de réactifs chimiques pour être identifiées formellement ! On imagine alors toute la difficulté de les identifier a posteriori uniquement sur photo. Quelques applications pilotées par intelligence artificielle[6] s’y essaient sur nos smartphones mais leur intérêt reste assez limité. Cela fonctionne plus ou moins bien sur les espèces les plus faciles à reconnaitre, mais ce sont celles où justement on n’a pas besoin de l’IA. Pour autant, des mycologues avertis aident volontiers les néophytes à se former sur des forums[7] dédiés à la mycologie ou sur des groupes Facebook thématiques[8],[9]. Certains experts sont très pointilleux et il convient d’apprendre les codes (on utilise les noms latins, en italique et avec majuscule !) et de montrer sa volonté de se former, mais on y apprend beaucoup. Sur les images proposées sur les forums pour une identification, il faut veiller à avoir les couleurs les plus fidèles possibles et ne pas « réchauffer » la balance des blancs pour obtenir un effet plus flatteur. Il convient d’utiliser un écran calibré et de corriger également les dominantes vertes fréquentes en forêt. Pour multiplier les chances d’une identification correcte, il faut cependant noter tous les éléments disponibles sur l’habitat, l’arbre hôte, la disposition du ou des spécimen (seul, en groupe, en rond de sorcière…), saison, pluie récente ou sécheresse susceptible de modifier l’aspect, changement de couleur à la coupe, taille, odeur et saveur… Ces derniers point sont assez subjectifs et je me souviens encore de mon étonnement le jour où un expert m’a demandé si ma russule sentait plutôt la pomme de terre crue ou le métal rouillé ! Il faut également accepter de sacrifier le champignon pour le photographier sous différents angles, avec des gros plans montrant l’insertion des lamelles sur le pied, la volve ou la corolle éventuelle, et les vues en coupe pour juger de l’aspect filandreux du pied ou savoir s’il est plein ou creux… fort heureusement, avec l’expérience, on peut souvent identifier une espèce déjà rencontrée sans trop de risque d’erreur et avoir la satisfaction de repartir sans avoir abimé le modèle…
1. Hofrichter, R., P. Le Bourdon-Brécourt, and T. Chazal, La vie secrète des champignons – A la découverte d’un monde insoupçonné. EAN 978-2711200191 – ISBN 2711200191. 2019: Les Arenes Eds 253 pages.
2. Laurent, P., Les champignons les reconnaître et les trouver. 2010, Bordeaux: Éd. « Sud-Ouest ». 127 pages.
3. Eyssartier, G. and P. Roux, L’indispensable guide du cueilleur de champignons. 2017, [Paris]: Belin. 351 pages.
4. Eyssartier, G. and P. Roux, Le guide des champignons France et Europe. 4 ème édition ed. 2017, Paris: Belin. 1152 pages.
5. Chaumeton, H., M. Champciaux, and J.-L. Lamaison, Les Champignons de France. Guide vert. 2008, [Paris]: Solar. 510.
[1] https://www.nikonpassion.com/comment-faire-focus-stacking-nikon-photoshop-helicon/
[2] https://500px.com/p/martin-pfister?view=photos
[3] https://www.jama.fr/boutique/fr/prise-de-vue/trepied-rotule/trepieds-leofoto-385/leofoto-kit-trepied-carbone-ranger-ls-223c-rotule-lh-25-4936
[4] https://www.jama.fr/boutique/fr/prise-de-vue/support/bean-bag-187/bean-bag-en-cuir-63
[5] https://www.jama.fr/boutique/fr/prise-de-vue/support/bean-bag-187/garniture-pour-bean-bag-64
[6] Champignouf : https://play.google.com/store/apps/details?id=com.pingou.champignouf&hl=fr&gl=US
[8] Mycologie scientifique et champignons de France