Photographier les phoques en Baie de Somme
Leur présence a été largement médiatisée et les phoques présents en baie de Somme et en baie d’Authie sont aujourd’hui les véritables stars de la côte picarde. Leur caractère sympathique les a tout naturellement élevés au rang de mascotte. En dehors de quelques grincheux, la population locale les a complétement adoptés, et chaque touriste tient à voir son phoque avant de repartir, développant ainsi une économie touristique. Nombreux également sont les photographes qui souhaitent capturer quelques-unes de leurs mimiques…
Une présence historique
Historiquement très présents en baie de Somme, les phoques ont disparu au début du 20ème siècle, leur population décimée par la chasse. Les mesures de protection mises en place en 1972 ont néanmoins permis à la colonie de la Baie de Somme de se reconstituer peu à peu et d’essaimer vers le nord de la côte d’Opale, notamment en baie d’Authie.
Aujourd’hui on compte en moyenne 160 phoques sédentaires en baie de Somme, mais les effectifs peuvent plus que doubler en été avec des individus venant de l’Angleterre et des Pays-Bas. De même en baie d’Authie, on comptabilise 30 à 80 individus environ. Une quarantaine de naissances sont observées chaque été chez les phoques veaux-marins qui constituent la majorité des effectifs, les phoques gris ne se reproduisent généralement pas en baie de Somme. Le phoque veau-marin et le phoque gris sont en effet les deux espèces qui cohabitent en baie de Somme et en baie d’Authie, et les différencier requiert un peu de pratique même si la forme de la tête est essentiellement différente.
Quand observer les phoques ?
La vie des phoques en Baie de Somme est essentiellement régulée par les marées. A marée haute, ils se dispersent et suivent les courants marins pour se nourrir, soit dans le fond de la Baie, soit dans la Manche où ils peuvent s’éloigner à 60 km des côtes entre deux marées. Lorsque la marée descend, les bancs de sable émergent peu à peu et c’est le signal pour les phoques de se rassembler et de gagner leurs reposoirs, ils redeviennent grégaires.
Ces reposoirs sont choisis avec soin, avec une pente suffisamment forte et toujours à proximité d’un chenal profond, afin que les animaux puissent fuir rapidement en cas de danger ou de dérangement. S’il est à l’aise dans l’eau, le phoque est en effet bien maladroit sur terre ou il ne se déplace que par reptation ; il est donc beaucoup plus craintif sur les bancs de sable que dans l’eau et prend soin de se ménager systématiquement une échappatoire.
La colonie se reforme donc ainsi à chaque marée basse, généralement en plusieurs groupes. Durant toute la période de basse mer, les phoques vont rester plus ou moins immobiles, bien qu’ils changent régulièrement de position, roulant d’un côté puis de l’autre, adoptant la position dite de « la banane », dormant sur le ventre ou sur le dos… Pour le photographe, c’est l’occasion de saisir des attitudes parfois assez cocasses. Les conditions climatiques un peu extrêmes sont intéressantes : les phoques dans le vent de sable ou tout fumants de condensation par grand froid offrent des images insolites.
Où voir les phoques ?
En baie de Somme, on peut rencontrer les phoques un peu partout. C’est cependant au Hourdel qu’ils sont le plus facilement observables. A marée basse, ils s’installent sur les bancs de sable le long du chenal de la Somme. Le lieu est propice aux photos de groupes d’individus, la colonie peut être nombreuse en été, une longue focale (500 mm) reste nécessaire en général. L’usage des drones est possible tant que l’on ne pénètre pas dans la réserve naturelle et en gardant une altitude suffisante pour ne pas effrayer les animaux.
Pour la photo, le site de Berck-sur-mer est probablement celui-qui offre la meilleure proximité avec les animaux. Le profond chenal de l’Authie est une sécurité pour eux et la distance de tolérance est réduite à 10 à 20 mètres, parfois moins. Pour les photographier hors de l’eau, c’est incontestablement le lieu qui offre le plus de possibilités sans déranger les animaux, avec un bel éclairage matin et soir. Le matin les animaux baignent dans une belle lumière dorée, tandis que le soir il est possible de traiter le sujet façon paysage grâce au coucher de soleil en arrière-plan…
Quand les phoques bougent’ils ?
Une fois installés sur le banc de sable, les phoques bougent peu et le photographe s’ennuie vite. Les images des phoques dormant sur le sable étant faciles à réaliser, l’enjeu pour le photographe devient en effet rapidement de parvenir à réaliser des images dynamiques en exploitant les instants où les phoques s’animent ou adoptent des postures instables, mais aussi en utilisant les remous de l’eau et les éclaboussures qui donnent du mouvement aux images. Mieux vaut donc privilégier les moments où ils arrivent ou repartent. Personnellement, je préfère le moment où la marée montante les déloge ( 2 à 3h avant la haute mer), les mises à l’eau se font alors face au photographe. On les voit s’agiter, se déplacer pour rester au sec plus longtemps, adopter la fameuse attitude dite de la « banane »…
En automne principalement, c’est souvent à ce moment que l’on assiste à des scènes de jeux et aux simulacres d’affrontement entre les phoques gris assez intéressantes à capturer. Les animaux se dressent alors l’un contre l’autre, le sable et l’eau jaillissent et quelques cris rauques retentissent… c’est toute une ambiance !
Enfin, à marée haute, les phoques se mettent à pêcher dans le chenal et leur curiosité naturelle les pousse à s’approcher des humains, offrant de multiples occasions de leur tirer le portrait !
Quel matériel pour photographier les phoques ?
Côté matériel, les longues focales (500mm et multiplicateur, 200-500 mm, 150-600 mm) sont quasi-indispensables pour photographier les phoques plein cadre. Il n’est cependant pas nécessaire d’utiliser un boitier à cadence élevée car ces animaux bougent lentement. Enfin, pour qui serait intéressé de tenter l’aventure, je conseille de se vêtir en se protégeant du vent, et de prévoir les bottes car la digue est assez glissante et à marée montante les vagues l’envahissent très vite ! Sachez également que le lieu est bien fréquenté aussi par les oiseaux, ce qui permet de meubler l’attente. En période de migration, les passages sont fréquents, mais on rencontre toute l’année les goélands, mouettes, cormorans, aigrettes, et plus occasionnellement des bécasseaux, des sternes, des gravelots… Mon dernier conseil sera d’éviter les périodes de vacances scolaires en journée car le lieu est étroit et très fréquenté, y poser un trépied devient vite compliqué et risqué.
La colonie de phoques en Baie de Somme
On se réfère généralement aux écrits d’un sénateur de la Somme à la fin du 19ème siècle comme preuve de la présence des phoques en Baie de Somme à cette époque. L’auteur y décrit une population de plusieurs centaines de phoques veaux-marins, alors chassés pour leur peau, leur graisse et leur viande. Au début du 20ème siècle, la pression de chasse est devenue si forte que l’espèce a rapidement disparue. Ainsi de 1930 à 1970, apercevoir un phoque en baie de Somme relevait de l’exceptionnel.
Ce n’est cependant qu’à partir de 1972 que des mesures de protection de l’espèce sont mises en place :
- 1972 : Interdiction de chasse en France (1962 aux Pays-Bas) ;
- 1979 : Espèce inscrite en annexe III (espèces de la faune protégée) de la convention de Berne relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe ;
- 1979 : Espèce inscrite en annexe II de la convention de Bonn sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage ;
- 1992 : Espèce inscrite en Annexe II de la Directive de l’Union Européenne « Habitats-Faune-Flore » ;
- 1995 : Espèces protégées au titre de l’arrêté relatif à la liste des mammifères marins protégés sur le territoire national ;
Les résultats de ces mesures de protection ont commencé à être perceptibles en 1986 avec un petit groupe de 10 à 15 phoques veaux-marins qui s’installent à nouveau en Baie de Somme. L’arrivée de ces premiers « colons » tient en partie à une caractéristique de l’espèce : l’erratisme juvénile. Ainsi, après le sevrage, les jeunes peuvent se disséminer sur de longues distances, parfois jusqu’à plus de 300 kilomètres. Ces pionniers seront donc peu à peu rejoints par d’autres, venus de l’Angleterre et des Pays-Bas et c’est en 1988 que la première naissance est observée, la population n’étant considérée comme reproductrice (1 petit par an) que depuis 1992.
Les comptages réalisés par l’association Picardie-Nature, qui mène le programme d’étude et de protection des phoques de la Baie de Somme, montrent depuis, une progression constante de la population. Sur la période 1986-2011, le taux moyen d’accroissement de population est ainsi de 17% et au mois d’Août 2012, 370 phoques veaux-marins et 92 phoques gris ont été comptabilisés en baie de Somme. Il s’agit là des effectifs maxima, qui ne représentent pas la population sédentaire estimée en moyenne à 160 phoques veaux-marins et 35 phoques gris. En effet, les effectifs sont très variables, notamment l’été où des individus venus d’autres sites viennent s’ajouter aux animaux sédentaires pour former une colonie plus importante, au sein de laquelle les individus sexuellement mâtures peuvent se reproduire. Depuis quelques années, on observe, chaque été, au minimum une quarantaine de naissances chez les phoques veaux-marins en Baie de Somme.
C’est un beau succès mais cela reste modeste par rapport aux colonies de milliers d’individus des côtes de Wash au sud-est de l’Angleterre, ou de celles de la mer des Wadden (Pays-Bas / Danemark) d’où ils sembleraient venir… Pour autant, la colonie de la Baie de Somme représente près de 60% de la population française de phoques veaux-marins.
Les phoques gris sont moins nombreux et l’espèce n’est pas considérée comme sédentaire ni reproductrice, même si elle est présente toute l’année et que plusieurs naissances ont été observées. En effet, ces naissances se sont généralement soldées par un échec car la fourrure des jeunes « blanchons » absorbe l’eau et ne lui permet pas de nager les trois premières semaines de sa vie. En attendant sa première mue, celui-ci doit rester au sec sur des bancs de sable non recouverts par la marée, faute de quoi il se noie. Il n’existe pas de tel lieu en Baie de Somme, du moins suffisamment peu fréquenté par l’homme pour garantir la tranquillité nécessaire. Les phoques gris sont donc observables principalement en dehors de leur période de mise-bas, où ils se mêlent aux phoques veaux-marins et partagent les mêmes reposoirs.
Les phoques trouvent également dans la baie, les bancs de sables qu’ils affectionnent particulièrement et qui se forment grâce à l’effet des marées dans l’estuaire. C’est donc tout naturellement que l’espèce a également colonisé la Baie d’Authie, dont l’environnement présente une forte similitude avec celui de la Baie de Somme, et ce depuis les années 2000. Toujours en Août 2012, 48 phoques veaux-marins et 17 phoques gris (33 en Octobre) ont été comptabilisés en Baie d’Authie et on les voit maintenant régulièrement plus au nord.
Phoque gris et veau-marin : comment les différencier ?
Les caractéristiques permettant de les reconnaître se situent surtout au niveau de la tête, seule partie visible en mer :
- Le phoque veau marin a une tête ronde, un museau court, un décrochement entre le front et le museau bien marqué, des narines en forme de V et le trou auditif est bien visible.
- Le phoque gris a un museau allongé dans le prolongement du front, et des narines parallèles.
Lorsque l’animal est sur le sable, on constate un cou plus marqué chez le phoque gris, avec une tête plus mobile. Par ailleurs, mais ce n’est pas une règle absolue, la fourrure du phoque veau-marin est parsemée de marques fines plus claires, contrairement à celle du phoque gris qui présente de grosses taches plus claires. La coloration est variable : gris clair à foncé, beige, marron, avec souvent une partie plus claire au niveau du ventre chez le veau-marin. Enfin, chez les adultes, les phoques gris sont généralement de taille plus imposante que les phoques veaux-marins. Le phoque gris mâle peut ainsi atteindre 3m de long pour 250 kg alors que le veau-marin dépasse rarement 2m et 120 kg dans la région.
Photographier les phoques : attention aux dérangements !
Les longues stations sur les bancs de sable sont indispensables à la physiologie des phoques, c’est pourquoi il est impératif de respecter leur tranquillité. C’est en effet pendant ces périodes que le phoque stocke une épaisse couche de graisse sous-cutanée qui lui permet d’assurer sa thermorégulation et de stocker de l’énergie pour sa locomotion. De même, chaque été, le phoque mue et perd ses poils (Juin à Septembre), et c’est l’énergie solaire emmagasinée pendant les périodes de repos qui lui permet de synthétiser la vitamine D nécessaire à la repousse de son nouveau poil.
Enfin, ces périodes sont également mises à profit pour la reproduction, les mises-bas et l’allaitement des petits. Les dérangements répétés perturbent son cycle de vie et mettent en péril les nouveaux-nés. Les tentatives d’approche entrainent systématiquement la fuite vers l’eau, au risque de séparer la mère et son petit. Un quart des naissances sont ainsi compromises chaque année, d’autant qu’elles ont lieu en Juin et Juillet, lorsque les touristes sont les plus nombreux !
Cavaliers, kayaks, bateaux de plaisance, promeneurs ou photographes provoquent malheureusement régulièrement des mises à l’eau intempestives qui nuisent aux animaux, et cela souvent par ignorance. Il convient donc d’informer sans cesse le plus grand nombre sur les règles à respecter, pour que cette petite colonie fort sympathique continue à prospérer ! Une distance de 100 m au moins est à respecter, et si les phoques relèvent la tête ou commencent à se rapprocher du bord du chenal c’est que vous êtes trop près ! Pour votre première visite, offrez-vous une promenade avec un guide nature agréé Qualinat qui vous indiquera où et quand faire vos images sans déranger l’espèce.