activité traditionnelle

Les agneaux de prés-salés en baie de Somme

Actuellement les agneaux de prés-salés sont dodus à souhait et gambadent près de leurs mères en baie de Somme. Près du Crotoy, c’est un troupeau de 1600 bêtes qui parcourt ainsi les mollières. Au petit matin, lorsque les bergers ouvrent les barrières, le troupeau prend ainsi la direction du fond de baie. Le troupeau de brebis et d’agneaux s’étire alors peu à peu en longues files qui suivent les sentes qui parcourent les mollières et s’éparpille peu à peu dans ces pâturages. La tradition du pastoralisme en baie de Somme remonte à plusieurs siècles et c’est toujours un plaisir de la voir ainsi se perpétuer.

Les pêcheurs de crevettes grises à Ault

Ils arrivent seuls ou en petit groupe environ deux heures avant la marée basse, avec leur haveneau sur l’épaule, les cuissardes et le ciré. Le haveneau, c’est ce grand filet que les pêcheurs poussent devant eux en raclant le fond de mer pour capturer les précieuses crevettes. Encore appelées « sauterelles », elles sautent et se font prendre dans le filet lorsque celui-ci frotte le sable où elles sont enfouies. Arpenter ainsi la plage avec de l’eau jusqu’à la poitrine, et en poussant ce grand filet en forme de poche devant soi, est un effort physique important qui donne toute sa valeur à la dégustation de la pêche une fois rentré.

La crevette grise (Crangon vulgaris) est une espèce assez commune sur nos côtes. Elle est d’ailleurs également pêchée de façon plus industrielle par les « sauterelliers » du Hourdel. Elle mesure de 3 cm à 7 cm pour les plus grosses (les femelles, le mâle dépasse rarement 5 cm) , et la taille minimale pour les pêcher est de 3 cm soit environ 7 mm de diamètre. Elle craint principalement la surpêche et la pollution… C’est à l’automne qu’on pêche les plus grosses. La crevette grise est omnivore et charognarde. Elle se nourrit surtout de nuit, et c’est un grand nettoyeur de nos littoraux pour éliminer les vers, crustacés ou poissons morts ! La crevette grise vit en colonies importantes, toujours sur le sable fin. Elle s’ensable peu profondément, c’est pourquoi le haveneau permet de les attraper. Ce filet mesure généralement 1.5 m à 2m de large, parfois plus. Une pièce en bout du manche, appelée « pousseur », permet de prendre appui sur le ventre ou la poitrine pour avancer avec le haveneau. Le pêcheur remonte régulièrement sa pêche et trie ses prises avec un tamis (trieur). Les petites crevettes trop petites sont relâchés, mais aussi les poissons et les crabes qui se font prendre. Les gants et un pince sont impératifs car il n’est pas rare de remonter une vive au dard très douloureux ! Le résultat de la pêche est placé dans une hotte portée en bandoulière. Le soir à contre-jour, les remontées de filet sont particulièrement esthétiques pour les photographes. Le décor des falaises de Ault et les reflets du ciel coloré sur le sable mouillé participent également à cette belle ambiance.

Une fois rentrés à la maison avec 500g à 2 kg de crevettes (résultat habituel pour 1h à 2h de pêche), les crevettes sont cuites (ébouillantées ou à la poêle) et dégustées bien souvent en apéritif, en toute convivialité. En général on mange tout, avec un bon petit vin blanc.

Les mytiliculteurs de la baie de Somme

Une moule-frite, un verre de vin blanc ou une bonne bière, voilà un plaisir simple dont on connait toute la valeur dans le nord de la France et en Belgique… Rien qu’à la braderie de Lille, ce sont 500 tonnes de moules qui sont consommées en 3 jours… et les restaurants font la compétition pour le plus haut tas de coquilles !

Mais avant d’arriver dans notre assiette, ces moules ont un peu voyagé, et une partie provient des alignements de bouchots de la Baie de Somme.

Dans les années 80 les pouvoirs publics ont souhaité initier la mytiliculture en baie de Somme et tirer parti du fait que la forte amplitude des marées découvre de grandes zones en faible pente bien adaptées à la conchyliculture. Des pêcheurs en mer et des pêcheurs à pied ont répondu à un appel d’offre pour se reconvertir face à l’ensablement de la baie et à la raréfaction du poisson. La qualité des eaux de la baie de Somme impose néanmoins que les moules soient nettoyées du sable et d’éventuelles bactéries avant consommation. Par le passé, cette obligation ne pouvait être satisfaite que dans les conserveries espagnoles qui imposaient leurs tarifs et ne permettaient pas de sécuriser la filière. La profession s’est donc mobilisée et, depuis 2010, le centre conchylicole du Crotoy, organisé en ateliers, permet de purifier et de conditionner la récolte, afin de pérenniser la profession[1].

Aujourd’hui, ce sont près de 2500 tonnes qui sont produites chaque année sur le littoral picard, soit presque 5% de la production nationale. Environ 60% de la production est consommée localement dans les restaurants et poissonneries. Sur le plan économique, cette activité emploie près de 80 personnes en permanence et génère 300 emplois indirects. Ce sont 14 entreprises de mytiliculture qui exploitent les 100 000 pieux de bois, appelés « bouchots », répartis sur 5 km de plage entre Quend-Plage et Saint-Quentin-en-Tourmont. On compte ainsi 32 concessions de 3500 pieux chacune, une concession regroupant 5 groupes de 3 rangées de pieux. L’élevage des moules est une activité en milieu ouvert et sans apport de nourriture, il est donc impératif de gérer au mieux l’environnement du littoral. Chaque mytiliculteur dispose donc d’une autorisation de culture marine dans ses concessions et doit respecter un cahier des charges qui fixe le nombre de pieux par ligne, leur hauteur,etc… pour respecter les ressources en phytoplancton dont se nourrissent les moules.

Iodée, riche en vitamines, en protéines et en sels minéraux, pauvre en cholestérol, la moule est un aliment plein de qualités sur le plan diététique. Certains chercheurs estiment même que sans les acides gras des fruits de mer, notre cerveau n’aurait pas pu se développer au cours des millénaires pour devenir aussi complexe[2]. De plus, la moule de bouchot picarde (moule dite « commune », Mytilus edulis) est un produit de grande qualité bénéficiant du label Spécialité Traditionnelle Garantie (STG) et qui garantit notamment « la couleur crème à jaune orangé de sa chair, une coquille propre, la texture de la chair très onctueuse, une coquille bien remplie« .[3] L’alternance des marées qui la couvrent et la découvrent l’oblige à travailler son muscle et développe ainsi ses qualités gustatives.

La récolte se fait principalement d’Avril à Octobre, à marée basse alors que le parc de bouchots est découvert. Equipés de leurs waders ou de combinaisons néoprène, les mytiliculteurs enchaînent une série d’opérations afin de récolter et de préparer la saison suivante.

Arrivés sur site, la première tâche des mytiliculteurs est ainsi de préparer les naissains destinés à occuper les bouchots mis à nu une fois récoltés. Ces naissains sont obtenus par captage naturel au printemps, en plaçant des cordes de coco sur des supports horizontaux appelés « chantiers », à proximité des bouchots. Les moules frayent dans l’eau et les larves viennent se fixer naturellement sur ces cordes où elles vont se développer pendant 3 à 5 mois. Les cordes couvertes de naissains sont alors coupées en morceaux de 3 à 4 mètres de long et placées dans un filet de protection. Un morceau de tube PVC facilite l’opération.

La préparation des naissains

Quelques opérations d’entretien peuvent avoir lieu également tant que l’équipe est dans un secteur. Il peut s’agir de tronçonner le haut des bouchots pour en égaliser la hauteur, ou de placer les filets de protection sur les bouchots les plus proches de la mer et qui se développent le plus vite par exemple. Cette opération, appelée le « catinage » consiste à enfiler une sorte de chaussette au mailles larges sur le bouchot, qui va s’entremêler avec les moules et former un bloc plus compact pour résister à la houle et réduire le risque de décrochage. C’est aussi une protection contre la prédation.

Tronçonnage et catinage

Les mytiliculteurs doivent en effet lutter pied à pied avec les prédateurs attirés par ce garde-manger à ciel ouvert. Une gaine de plastique avec des franges, appelée « Tahitienne », en bas des bouchots permet ainsi d’éviter l’ascension des crabes amateurs de moules. Les naissains bien tendres font également le régal des goélands argentés (Larus argentatus) qui peuvent dénuder complètement le haut des bouchots. Les cordes se détachent alors et c’est tout le bouchot qui est perdu, compromettant la récolte. Et comme les goélands se comptent par milliers sur la plage, la prédation devient vite un problème crucial. Les filets apportent une certaine protection, ainsi que les canons à gaz qui imitent les détonations des fusils. Les mytiliculteurs bénéficient également d’une autorisation pour quelques tirs léthaux afin que les oiseaux continuent à associer les détonations au danger. Malheureusement, d’autres aléas comme l’envasement ou la prolifération de certains planctons qui obstruent les mailles des filets et étouffent les moules sont parfois constatés.

Tahitienne et canon à gaz

Si certains exploitants les récoltent à la main, la cueillette est généralement menée grâce à un outil qu’on appelle la « pêcheuse » et qui permet d’arracher l’ensemble des moules du bouchot en une seule opération. Les filets sont fendus au couteau avant ou après l’arrachage et les moules sont déposées sur le plateau de la remorque du tracteur. Les ouvriers doivent alors gratter les filets à la main pour extraire les moules qui y adhèrent et enlever les restes de la corde de coco. Les moules sont ensuite placées dans des casiers, à la main ou à la pelle.

Les filets sont fendus

Arrachage avec la pêcheuse

Grattage des filets

Remplissage des casiers

Le pieu mis à nu est alors gratté avec une « gratte » dont la forme est adaptée à la section du pieu. En effet, c’est comme au football, il y a des poteaux ronds et des poteaux carrés ! La section carrée des poteaux en bois exotique est mieux adaptée aux machines et facilite le nettoyage. Ils sont cependant plus chers et plus cassants lors des tempêtes. Les poteaux en chêne de section circulaire leurs sont donc régulièrement préférés.

Nettoyage des bouchots

Une fois nettoyé, le bouchot peut recevoir le naissain préparé auparavant. C’est « l’ensemencement » du bouchot. Celui-ci est fixé avec un clou en haut du pieu et enroulé autour de celui-ci, maintenu en place par un élastique à la base. Les ouvriers se répartissent les opérations, l’un dépose les naissains sur les bouchots, l’autre les cloue, et le troisième les enroule et place l’élastique. Les naissains pourront alors grossir et s’étaler sur le bouchot, leur croissance durera 12 à 18 mois avant qu’ils soient récoltés à leur tour une fois devenus des moules adultes.

Pose des naissains

Une fois libérées de leurs filets et placées dans les casiers, les moules subissent un prélavage avec la laveuse montée sur le tracteur. Cette opération permet de réduire la quantité de déchets rapportés au centre conchylicole, afin de prévenir les nuisances olfactives éventuelles et les transports inutiles. Les tracteurs remontent sur la plage et les mytiliculteurs s’installent dans une bâche où ils branchent une pompe pour alimenter la laveuse. Chaque casier de moules est ainsi débarrassé d’une bonne partie des déchets organiques (sédiments, algues, vase…). Les moules sont également dégrappées et calibrées une première fois. Les déchets sont laissés sur place, et dès le départ des mytiliculteurs ils constituent un festin pour les oiseaux de mer avant de régaler les crustacés à marée haute…

Prélavage

Arrivée des goélands et retour de la marée

Mais déjà a marée recouvre les bouchots et il est temps de rentrer au centre de traitement pour la suite des opérations. Dans l’atelier, la récolte est placée dans de grands bacs où les moules sont mises à purifier sous les douches pendant une douzaine d’heures. Le circuit d’eau y est maintenu propre et les moules vont pouvoir se débarrasser de leurs déchets organiques et d’éventuels bactéries.

La station de purification

Pendant ce temps, c’est la récolte de la veille qui est conditionnée. Placée dans la trémie en début de chaine, les moules sont dégrappées, puis brossées, lavées et calibrées dans la laveuse. Le tapis roulant les emmène ensuite dans la machine qui enlève le byssus, ce filament que produit la moule pour se fixer sur son support. En bout de chaîne, les ouvriers trient à la main les moules encore trop couvertes de balane, ce petit coquillage blanc conique qui se fixe sur leur coquille. Elles auront droit à un deuxième passage dans la laveuse ! Ensuite, les moules sont ensachées par sac de 15 kg, avant de rejoindre la palette et le stockage en chambre froide. Tout l’atelier est ensuite lavé à grande eau et les bacs de déchets sont chargés sur la remorque du tracteur pour être rendus à la mer à la marée suivante.

Le centre conchylicole du Crotoy

La plupart des images ci-dessus ont été réalisées lors d’une belle rencontre sur la plage de Quend avec l’équipe de mytiliculteurs de Benjamin Vignolle. Ce jeune entrepreneur a pris la relève de son père et partage sa passion pour ce métier sur sa page facebook « le petit moulier »[4]. Il gère environ 14 000 bouchots et produit 100 à 150 tonnes de moules par an !  A la pénibilité de ce métier qui implique beaucoup de manutention et de port de charges dans un environnement parfois difficile, Benjamin oppose le plaisir du travail au grand air et la sensation de liberté. J’ai été vraiment sensible au soin apporté à la réalisation des différentes tâches et à la volonté permanente de produire un produit de qualité dont toute l’équipe peut être très fière. Pour y avoir goûté, je peux vous assurer que les moules produites sont délicieuses, pleines et charnues à souhait !

Benjamin fait de la vente directe au Hourdel, le samedi de 10h30 à 12h30 à côté du point info, allez-y, vous n’aurez aucun regret !

La production du jour, cadeau de la maison ! Un régal !


[1] Picardia, l’encyclopédie picarde :

[2] Nos ancêtres mangeaient-ils des fruits de mer ? William Rowe-Pirra, Science et Avenir, 14/3/21,

[3] La Mytiliculture – Fiche du Comité Régional des pêches maritimes et des élevages marins Nord-Pas-de-Calais-Picardie

[4] Le petit moulier : https://www.facebook.com/Le-petit-moulier-110052854682689

Les pêcheurs du Hourdel

Rose-orangée après la cuisson, la crevette grise (Crangon crangon) mesure 5 à 7 cm, et sa couleur naturelle varie en réalité suivant le milieu où elle vit (jaune sable, verte, ou grise). On la trouve près du fond, à faible profondeur (moins de  20 mètres). Elle se nourrit la nuit et se déplace surtout à marée haute. Pour autant, elle ne s’éloigne guère de l’estuaire où elle est née [1].  Elle reste enfouie dans le sable le jour, ne laissant dépasser que ses antennes, pour se protéger des prédateurs. La crevette grise est omnivore et c’est un excellent nettoyeur des fonds marin, mais qui concentre les polluants de ce fait.

En baie de Somme, suivant les saisons, les pêcheurs attrapent la crevette grise, la sole, la limande, le turbot ou le carrelet. La crevette grise est une spécialité des pêcheurs du Hourdel, qui réalisent 5% à 10% de la production française. Ce crustacé est rapide et agile, ce qui lui vaut le surnom de « sauterelle« . Par extension, les chalutiers sont donc des « sauterelliers« [2]. Ces bateaux sont relativement petits, de 9 à 12 mètres, et embarquent 1 à 3 marins pêcheurs pour une dizaine d’heures en général, parfois plus. Ils raclent le fond avec un chalut spécifique et vanté comme très sélectif. Ce type de chalut (« Devismes et Asselin », du nom de ses concepteurs) a été mis au point par un pêcheur du Crotoy afin de séparer les crevettes capturées des poissons qui sont relâchés. A l’inverse des chaluts classiques, les « gros » dont la taille est supérieure à celle d’une crevette peuvent s’échapper, mais pas les petits. C’est une pêche côtière, pratiquée dans les estuaires de la Somme, de l’Authie et de la Canche principalement, et de façon artisanale.

Pour autant, l’activité de pêche professionnelle en baie de Somme se résume aujourd’hui pour l’essentiel à quelques chalutiers amarrés dans le petit port du Hourdel.  Durant les mortes eaux, les bateaux sont contraints à aller au Tréport, faute de disposer d’assez de tirant d’eau en baie. Le petit port est alors vide de ses pêcheurs. Quelques familles font perdurer cette activité depuis plusieurs générations, mais leur nombre diminue peu à peu, faute de repreneurs. La raréfaction du poisson est la principale cause de cette désaffection. En 2018 l’Ifremer[4] a d’ailleurs publié une étude estimant que 80% du poisson a disparu en baie de Somme sur ces 30 dernières années. L’étude impute cette disparition au réchauffement des océans, particulièrement exacerbé en Baie de Somme et dans toute la partie Manche/Mer du nord. Il est en effet 4 fois plus rapide ici que dans la moyenne des océans.

C’est donc une véritable chance de pouvoir encore être témoin de cette activité traditionnelle. Voir les enfants accompagner en courant le retour des bateaux dans le chenal ou bien suivre les curieux pour assister au déchargement de la pêche sont des plaisirs simples qu’il faut savoir apprécier… Sans parler de la dégustation !


[1] Etat des lieux des pêcheries de crevettes grises dans les estuaires de la Loire et de la Vilaine, Sylvain Rocheteau, 14/9/2014, Mémoire de fin d’études, Master Sciences Agronomiques et Agroalimentaires Spécialité Sciences Halieutiques et Aquacoles :

[2] Ville de Cayeux-sur-mer : https://www.cayeux-sur-mer.fr/economie-et-developpement/peche-profesionnelle/

[4] Ifremer : Baisse de 80% de l’abondance de poissons en 30 ans en baie de Somme

Rencontre avec les agneaux de prés salés

Ce matin là, sur les quais de la Somme à Saint-Valery, j’ai eu le plaisir de voir arriver les célèbres moutons d’estran de la baie de Somme, qu’on appelle également les agneaux de prés-salés puis qu’ils broutent plusieurs mois de l’année dans les mollières. Il faut être là au bon moment, mais les moutons viennent ainsi régulièrement se désaltérer dans la Somme et son eau douce, accompagnés du berger et de ses chiens.

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